À l’heure des ordinateurs, des smartphones et des tablettes, la question de la prise de notes, et surtout de l’utilité des outils technologiques durant les cours, se pose inévitablement. Certains arguent que prendre note sur clavier permettrait de capter plus de contenu(s), d’améliorer la rétention des informations et de les partager beaucoup plus facilement.

Je m’inscris en faux quant à cette idée. Non pas par pure idéologie réactionnaire et un peu old school, mais bien sur la base d’éléments solides qui démontrent que l’écriture manuscrite, largo sensu, ainsi que le fait de prendre des notes de façon manuscrite, présentent des avantages sans commune mesure. Je souhaite également allier deux visions du monde qui me tiennent à cœur : le plaisir esthétique et hédoniste de l’écriture manuscrite d’une part, les raisons scientifiques (principalement en lien avec la pédagogie et la mémorisation) qui poussent à privilégier celle-ci sur les autres formes d’écriture d’autre part.

Soyons quelque peu des esthètes de notre monde

Dans son ouvrage The Lost Art of Handwriting (1), Brenna Jordan débute par les mots suivants :

« Handwriting and types evoke different responses in the person reading the words. Each one is good for certain circumstances and each one can serve a different communication purpose, so type doesn’t need to completely replace handwriting. Sometimes type is the best form of communication – for presenting a work project, submitting school term papers, or sending a groupe of people some logistical information, for example. But let’s learn about the manu benefits that the handwritten word offers. » (2)

Voici quelques caractéristiques que cette autrice relève à propos de l’écriture manuscrite.

D’abord, cette dernière nous offre un aperçu de la personnalité de nos élèves. Chaque écriture est unique, à l’instar de l’individu qui en est à l’origine. L’écriture permet ainsi une connexion profonde et puissante à son individualité, ce en raison de l’agencement unique entre toute une série de variables (taille et acuité de l’écriture, rondeur des lettres, espace entre les mots, etc.) produisant un rendu singulier.

Elle nous connecte également au passé. Écrire de sa propre écriture et lire des écritures variées permet d’entraîner son esprit à la reconnaissance de pléthore de tracés. Ainsi, nous conservons nos compétences de lecture face à des documents historiques, permettant de déchiffrer, outre ce qui sort de nos ordinateurs, ce qui resurgit du fond des âges.

Elle évoque enfin la transmission des émotions. L’écriture manuscrite délivre avec toute sa puissance et son unicité, en raison de tous les implicites graphologiques en jeu (tremblement dans l’écriture, confiance dans le tracé, hésitation, ratures, etc.), l’état d’esprit de celui qui écrit. Là où un ordinateur nous délivre des mots, l’écriture manuscrite nous offre, certes des mots, mais aussi une sorte de « prosodie (3) de l’écriture ».

Éclairer l’humain par la science, l’élève par l’écriture

Si les éléments précédemment cités relèvent d’une sorte d’affect, de lien à l’esthétique et à l’humain, il est aussi à noter que pour certains les sentiments sont aveugles sans la raison, d’où une entrée dans ce qui constitue maintenant les raisons scientifiques de privilégier l’écriture manuscrite.

Pour le Docteur Michèle Temam (4), le support papier, annoté par l’élève, présente un avantage sur le support numérique. Tout d’abord parce qu’il est personnalisable, ce qui stimule la mémoire épisodique (5). Or, la mémoire étant associative, celle-ci est directement reliée à la mémoire sémantique, facilitant alors la récupération mnésique. Ensuite, parce qu’en l’annotant, on lui confère une charge émotionnelle qui favorise également la mémorisation (6). Enfin, parce que visualiser mentalement les contenus est plus facile sur support papier et améliore encore la restitution des connaissances.

Dans leur article « The Pen Is Mightier Than the Keyboard: Advantages of Longhand Over Laptop Note Taking », Pam A. Mueller et Daniel M. Oppenheimer mettent en avant que la prise de notes sur ordinateur, outre le fait qu’elle apporte son lot de distractions et favorise le multitasking (qui ne bénéficie en rien à la mémorisation de contenus), entraîne un traitement moins profond des informations. Leurs trois études révèlent que l’utilisation d’un ordinateur dans la prise de notes nuit aux apprentissages pour la raison que les étudiants retranscrivent le contenu littéralement plutôt que de le reformuler, l’intégrer, et le transformer avec leurs propres mots. De ce fait, les auteurs observent que les utilisateurs d’ordinateur sous-performent aux questions de conceptualisation.

Dans Journal of Educational Psychology, Dung C. Bui, Joel Myerson et Sandra Hale (7) contrecarrent l’argument généralement avancé par les utilisateurs d’un ordinateur pour la prise de notes : cela permettrait d’être plus productif et d’emmagasiner plus d’informations. Si l’étude montre qu’à court terme les utilisateurs d’un ordinateur peuvent se rappeler d’un nombre plus important d’éléments que leurs pairs écrivant à la main, elle montre également que cet avantage ne perdure que 24 heures ! À long terme, les personnes prenant note à l’ordinateur sous-performent aux tests par rapport à celles qui travaillent de façon manuscrite. À nouveau, cela s’explique par le fait que les utilisateurs d’un ordinateur mobilisent peu leurs aptitudes à résumer et synthétiser. À cet égard on peut lire :

« Taking organized notes presumably involves deeper and more thorough processing of the lecture information, whereas transcribing requires only a shallow encoding of the information. » (9)

Dernière étude pour appuyer le propos, celle de Karin H. James et Laura Engelhardt dans Trends in Neuroscience and Éducation (10). Ils évoquent, par la pratique de l’écriture manuscrite, des bienfaits sur le cerveau et le développement. Ils ont demandé à des enfants de reproduire une lettre de différentes façons : en la tapant sur ordinateur, en la dessinant à la main ou en la traçant sur du papier à point. Ensuite, ils ont observé le cerveau des sujets par IRM. L’étude révèle que les enfants qui ont dessiné la lettre à la main ont activé trois zones distinctes du cerveau, phénomène qui ne s’est pas produit dans les deux autres cas. L’écriture manuscrite active plus de zones du cerveau en raison de la mobilisation d’aptitudes motrices. Outre ces aspects, les auteurs de l’étude observent également des bénéfices à long terme de l’écriture manuscrite sur le cerveau et la rétention d’informations complexes.

Choisir et renoncer

Des raisons esthétiques donc, mais également des raisons scientifiques. On aurait pu encore traiter des questions écologiques, liées à la consommation d’énergie de nos machines que l’on traine dans nos poches et nos sacs, ou encore des questions éthiques, en raison du minage des composants électroniques de nos ordinateurs réalisé majoritairement par des enfants dans des pays aux législations protectrices inexistantes et dans des conditions abominables (quel euphémisme !).

Prendre note à la main mobilise notre cerceau mieux et plus profondément qu’avec n’importe quelle autre façon de faire. Cela demande de la concentration, mais les bénéfices n’en sont que plus grands. Rien n’empêche évidemment d’écrire un travail à l’ordinateur, de produire un délivrable de façon dactylographiée, surtout s’il doit être partagé largement par voie informatique. Mais lorsqu’il s’agit de l’espace classe et des notes, c’est la voie manuscrite qui devrait être privilégiée.

Et puis, qui peut le plus peut le moins. Et il est fort à parier que les élèves pourront, quand il sera temps, choisir l’option de la facilité (et de l’inefficacité, si l’on se fie aux études supra) quand elle s’offrira à eux et bondir, dix doigts en avant, sur leur clavier. Mais d’ici les études supérieures et la libre détermination à choisir sa technique de prise de notes, il est de salubrité éducative d’enseigner ce qui semble être la voie royale pour appréhender une matière complexe.

Les plus belles lettres d’amour n’ont pas été écrites sur ordinateur. Puisse-t-il en être autant pour les notes de cours.


(1) Brenna Jordan, The Lost Art of Handwriting: Rediscover the Beauty and Power of Penmanship, Adams Media, 2019.
(2) Ibid., p. 12.
(3) Ensemble des phénomènes phoniques ne faisant pas partie de l’étude des phonèmes et des traits distinctifs ; étude de ces phénomènes. Exemple : L’intonation, l’accentuation, les tons et le rythme font partie de la prosodie.
(4) Michèle Temam, Savoir par coeur sans apprendre par coeur, Odile Jacob, 2020, pp. 40 et s.
(5) En psychologie cognitive, la mémoire épisodique désigne le processus par lequel l’humain se souvient des événements vécus avec leur contexte (date, lieu, état émotionnel). Cette sous-partie de la mémoire à long terme est différente de la mémoire sémantique qui est la mémoire des faits et des concepts. (Wikipédia)
(6) Michèle Temam, op. cit., p. 45 et s.
(7) Dung C. Bui, Joel Myerson, and Sandra Hale « Note-Taking With Computers : Exploring Alternative Strategies for Improved Recall » in Journal of Educational Psychology, 2013, Vol. 105, n°2, pp. 299-309.
(8) Ibid., p. 304
(9) Karin H. James, Laura Engelhardt, « The effects of handwriting experience on functional brain development in pre-literate children » in Trends in Neuroscience and Education, 1, 2012, pp. 32-42. .